Quelques mois et quelques jours avant le Jour J
En début d’année, afin de rentabiliser la sueur versée lors de nos durs entrainements à la piscine ou sur la piste, nous nous mettons à la recherche d’une épreuve originale comme objectif de la saison. Nous jetons rapidement notre dévolu sur un triathlon insolite vu que les parties natation et course à pied sont relativement insignifiantes: les 24heures du Mans vélo.
Suffisamment de volontaires se présentent alors pour monter deux équipes mixtes de 6 personnes. Nous avons six mois devant nous pour mettre en place une stratégie, nous organiser et ne pas partir là bas la fleur au fusil. C’est pour cela que nous attendons d’être à une semaine du départ pour nous réunir et nous poser les questions essentielles à ce genre de déplacement: comment partir là bas (2min de discussions), comme gérer les relais sur 24h (on verra sur place), où dormir (3min de discussions), que manger et qui apporte la plancha (1h28 de discussions et de débats).
Cependant, des désistements entre-temps nous contraignent à repartir en quête de nouveaux baroudeurs.
Une seule motivée se manifeste en la personne de Jessica. Elle sort juste de Culture Vélo avec un bolide Lapierre jaune et bleu tout neuf (mais pas rose). Le vendeur, un certain X.B, lui a promis qu’avec ça elle n’aurait plus besoin de pédaler et elle l’a pris au premier degré.
Les deux équipes se présentent donc ainsi:
Aviron Bleu: Nicolas Pons, Pierre Poeydomenge, Jessica Brozek, Mathieu Iturria, Marine Berrué, Cédric Corraza
Aviron Blanc: Romain Etchenique, Julien Simon, Pierre Mars, Andries Bigot, Cécile Le Coz.
Elles ont été constituées suite à tirage au sort, en présence de Nemo huissier assermenté et avec Sandy Broz’. en main innocente. Sur le papier cela parait déséquilibré, vu que l’équipe Bleu affiche un concentré de talent, d’expérience, de classe sur le vélo mais, avec un participant en plus, a également l’avantage du nombre.
Cela n’empêche pas l’équipe AB Blanc – avec Cécile en fer de lance – de lancer tôt dans la saison le chambrage, obligeant l’équipe AB Bleu discrète jusqu’à lors de répliquer, à son corps défendant mais pour préserver son honneur.
De ces joutes verbales sortira la nécessité de pimenter le résultat final par un gage pour l’équipe perdante.
Celui ci sera pour chaque battu de boire un verre de Suze à l’AG de la saison 2018.
Andries voulait même surenchérir jusqu’à passer la soirée entière à la Suze mais nous sommes quand même humains, nous ne sommes pas nés à Aurillac nous, et il est impensable d’infliger une telle punition à quelqu’un même pour rigoler.
Vendredi J-1
Remorque chargée, départ dans la nuit noire pour le Grand Nord et la Sarthe, un département qui se situe au delà du Tropique de la Garonne.
Autoroute, péage, autoroute, pause pipi, péage, bouchons, pause knacki-cheese cake, autoroutes et nous atteignons le Mans.
Nous nous installons au camping accolé au circuit Bugatti, sur lequel tournent quelques voitures. Nous récupérons nos dossards, puis partons pour un tour de vélo dans le coin afin de nous dégourdir les jambes. Quelques hectomètres derrière tracteur sur une nationale, au milieu des camions, rien de tel pour faire circuler le sang.
De retour au camping le cuistot officiel de la section, Cédric, met en route la plancha. Des bières, des burgers, de la charcutaille: le weekend s’annonce sous les meilleurs hospices,même si Mathieu est très déçu que Michel Drucker ne soit pas présent et que cela lui gâche une partie du plaisir d’être sur place (il a du mal à accepter que Drucker ne soit pas parrain de toutes les épreuves cyclistes existantes).
Nous nous couchons sous le doux chant des grillons et des motos qui font hurler les moteurs à proximité du Circuit. Enfin j’espère que ce sont des motos parce que si ce sont des vélos s’échauffant pour demain,leur dopage mécanique n’est pas totalement au point et ils risquent de se faire attraper.
Samedi Jour J – matin
Repérage du Circuit. 4km185 sur un bitume aussi lisse que le crâne de Bruce Willis et sur lequel on n’a pas aperçu un gravillon depuis novembre 1972. Une longue ligne droite dans les paddocks – parallèle à la piste – où la vitesse est limitée à 20 km/h. On a le temps de se curer les oreilles, de se demander si on a bien donné à manger au chat avant de partir, de regarder si le compteur fonctionne puis on sort sur le circuit et en quelques secondes le cardio monte à 180 puisqu’on attaque de suite à fond la bosse Dunlop longue de 600m avec les derniers virages à 7%. Derrière 1km de faux-plat descendant avec des virages dans tous les sens puis relances, virages, relances et on revient à notre point de départ (ce qui est le principe d’un circuit) avec la ligne droite mais cette fois ci côté piste.
Avant le briefing, en sportifs avisés, nous prenons conseil auprès d’un membre d’une des équipes favorites (team composée entre autres de Steven Le Hyaric et de François Pervis, 7 fois champion du monde sur piste, même si dans son palmarès Wikipedia ne figurent ni “pancarte La Bastide” ni “pancarte Lahonce”). Il nous conseille de faire des relais de 2h30 et de rouler à 43 km/h de moyenne pour viser la victoire. Cela commence mal, nous avions envisagé des relais de 30 minutes et ma mère m’a interdit de dépasser les 40 à l’heure. Tant pis, nous renonçons à la victoire pour notre première participation.
Samedi Jour J midi
Le midi, ça cogite un peu dans l’équipe Blanc avec le stratège Julien qui établit l’ordre des passages et choisit de commencer par des relais courts de 30 minutes pour que tout le monde puisse tourner et prendre la température de la course, puis de 1h00 puis de 1h30 durant la nuit pour avoir plus de temps pour s’assoupir.
L’équipe Bleu attend patiemment que Julien finisse ses combinaisons pour lui piquer la feuille et la recopier en changeant simplement les noms. Cela prend un moment parce qu’entre temps il cherchait aussi à calculer le nombre de kilomètres que nous étions susceptibles de faire en 24 heures et le nombre de tours de pédale que cela représentait.
Après un déjeuner frugal de sportif avant l’effort, à base de saucisses, merguez, chips, nous partons nous installer.
Plusieurs équipes partagent le même paddock donc il faut respecter l’ordre et la discipline. Les vélos, les chaises sont alignés, les home-trainers aussi, prêts à l’usage. Bon enfin chez les autres. Nous c’est plutôt espace détente avec notre matelas gonflable devant lequel s’entasse tout ce dont nous n’avons pas un usage immédiat: boite de bonbons Haribo, chaussette gauche, sacs, bouteilles d’eau vide et pleines, bananes, casques…
La tension monte, les visages se ferment. Nous sommes psychologiquement entrés dans la course. Tout le monde a en tête l’image de la bouteille de Suze, notre châtiment en cas de défaite. Ce n’est pas un jeu. L’échec n’est pas permis. Il ne doit en rester qu’un.
Voici un déroulé honnête, véridique et chronologique de ce qui s’est passé au sein de notre groupe durant les 24 heures suivantes.
14h40: Nous décidons d’enfermer Julien dans le paddock, dans une semi-obscurité. Depuis qu’il hume l’odeur de l’asphalte et qu’il entend le bruit des vélos qui passent, il tremble, a de l’écume au bord des lèvres et gratte le sol avec son pied droit. Trop nerveux, nous avons peur qu’il ne se blesse.